Il y’avait
le journal et le reste…
Le journal, avec le
billet qu’il fallait lire entre les lignes, la météo qui annonçait rarement
l’orage, les mots croisés où les définitions faisaient œuvre de pédagogie, les
informations locales qui décrivaient ce qui se faisait, rarement ce qui se
défaisait, l’information internationale d’une tatillonne diplomatie,
l’information économique dans laquelle on traçait les courbes les plus
optimistes et le reportage où il était plutôt question de
« terroirisme » que de terrorisme… Et puis les petites annonces où la
demande d’emploi et l’offre immobilière était quasiment introuvables et puis
aussi, le communiqué de police avec le mémorable « cet homme est un
escroc »…
Il y’avait aussi la
page des lecteurs dans laquelle des citoyens aventureux osaient signer de leurs
noms les constats d’ingérance (du verber gérer) et d’ingestion (du verbe
ingérer) mais sans trop personnaliser les faits…
Le journal était
fort de présence… ce qui s’y écrivait avait son poids et personne n’était
indifférent à l’information. Le journaliste, malgré une indigence qu’il portait
en bandoulière comme pour affirmer son incorruptibilité, était respecté un peu
comme le cheikh de la mosquée avant qu’il ne s’islamise à coups de pilosité et
de kamis, comme le khodja avant qu’il ne se corrompe et se syndicalise, comme l’instituteur
avant qu’il ne découvre les primes et les grèves, comme le « fermli »
avant qu’il ne se fonctionnarise et se plie au respect strict des horaires de
travail…
Le journaliste
faisait partie de ces hommes qui construisent une société en lui prodiguant
l’optimisme, en développant l’espoir, en cultivant les valeurs humaines en
chantant l’amour des gens, des choses et du pays… Il ne pouvait se concevoir
d’autres rôles, d’autres vocations, d’autres missions… et c’est avec un plaisir
renouvelé que nous retrouvions chaque jour Boussaad Abdiche et son concentré de
fausse naïveté qu’il nous servait en forme de billet serré ; comme un café
matinal bienfaisant, que nous lisions les pages sportives dans lesquelles nous retrouvions
les prouesses et les finesses de Lalmas, Serridi, Fréha ou Salhi Layachi, et
non des réquisitoires haineux contre le dirigeant, l’entraîneur, l’arbitre, l’adversaire,
le stade et le ballon; le journaliste sportif usant de sportivité et non de
chauvinisme, de passion et de fougue éditoriale plutôt que de suffisance, d’arrogance
et d’une technicité qui n’est pas sienne, qui n’a pas à être sienne, et sachant
se faire rapporteur plutôt que gladiateur, spectateur plutôt que supporter…
Quoi qu’on dise
aujourd’hui, ce furent des moments de grand professionnalisme durant lesquels
fut créée une belle symbiose entre le journal et son lecteur, avec les pages
d’Algérie Actualité qu’on lisait debout en boue, de bout en bout… et celles de
RA dans lesquelles opéraient des plumes qui savaient amalgamer le verbe, l’argument,
l’observation et le sentiment dans des
écrits d’anthologie…
Qu’en est-il de
tout cela aujourd’hui ?
A l’image du
commerce qui s’est bazardisé sous prétexte de se libérer, de l’école qui s’est
clochardisée en se donnant l’illusion de s’élitiser, de la foi qui a déserté l’âme
en se fixant sur l’apparence, du sport qui s’est mercantilisé en croyant se
professionnaliser, de la politique qui s’est crapularisée en croyant se
démocratiser, de l’industrie qui s’est juste « banqualisée » en
croyant s’être modernisée, le journalisme s’est mercenarisé en croyant s’être
émancipé ; et si hier le journaliste abusait de son obédience à la Patrie
et à ses institutions aujourd’hui il ne conçoit sa grandeur et sa puissance qu’en
s’inscrivant dans l’oppositionnisme systémique, préférant gagner les satisfécits
de Menard plutôt que la reconnaissance du cœur du lectorat ou le sens du devoir
accompli envers son pays, et croyant qu’informer c est insulter, dénigrer,
dénoncer, culpabiliser, dévaloriser, semer le doute et cultiver le désarroi et
la désespérance et surtout, montrer qu’on échappe à toute tutelle algérienne
quitte à se faire renégat car le patriotisme, pris en tenaille entre le mythe
de la Oumma et leurre de l’universalité ne fait plus recette.
A l’heure des
grandes mutations que nous vivons, c’est à l’homme de l’information qu’incombe la
responsabilité de canaliser les pulsions vers ce qui est profitable, esthétique
et honorable ; il est, hélas, le
premier à dériver allègrement et frénétiquement vers les récifs impardonnables de l’irresponsabilité, de l’assujettissement,
de la laideur, de la cupidité et de l’immoralité…
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