L’Ecole algérienne est aujourd’hui
incontestablement sinistrée.
Livrée aux replâtrages que chaque
ministre se fait un devoir de lui administrer sous le nom de réformes, elle ne
sait plus quel programme enseigner, quelle méthode utiliser et surtout quel but
elle vise.
Les traitements qu’elle subit sous
la férule de ministres rebouteux ne
s’avèrent que cautères sur jambes de bois ; livrée à la médiocrité, cette
école est aujourd’hui boudée par les enfants de ses propres servants qui voient
en elle une pourvoyeuse de bras cassés ou, dans le meilleur des cas, d’heureux lauréats auxquels elle n’aura fourni
qu’un simulacre de connaissances sans consistances ni utilité mais qui auront
désappris morale et éducation au contact de tout ce qu’elle renferme comme
fléaux qui ont pour noms tabagisme,
drogue, intolérance et perversions en
tous genres…
Ses servants ont été recrutés pour
la plupart parmi ceux qu’elle a éjectés
car pendant des décennies, l’enseignant était le moins gâté de tous les
salariés, au point où on le donnait comme un exemple de misère. L’enseignement
était alors le réceptacle de tous ceux qui n’avaient pu trouver une quelconque
réussite sociale ou professionnelle ailleurs. L’élève avait généralement en
face de lui un maître frustré qui avait été contraint de se faire dispensateur
du savoir sans avoir ni la vocation ni la formation pour un métier si
délicat : celui de modeleur d’esprits malléables à merci… Ce maître, pour
se venger de cette école qui n’a pas su l’adopter, a fait de ses élèves des
citoyens à son image : asociaux,
affairistes pour les besoins de la cause et les nécessités vitales et
surtout rebelles à l’ordre et peu confiants en l’utilité même de ce qui leur
était inculqué… ce qui a relativement sauvé l’école d’un naufrage programmé,
fut l’insertion en masse de la femme dans ses rouages. Prédisposée à ce métier,
elle assura un enseignement plus consciencieux et plus généreux en puisant dans
ses réserves de stoïcisme, de sagacité et d’humanisme.
Cette situation n’a épargné aucun pallier
parce que l’enseignant, qu’il fut instructeur, professeur ou maître de
conférence n’avait ni statut, ni considération…
Mais le mal ne venait pas que des
acteurs directs que sont les enseignants… l’école était administrée à l’emporte
pièce par des fonctionnaires sans pouvoirs ni moyens, qui géraient les
infrastructures et les hommes par leur seul volontarisme. La discipline était
alors à l’image des lieux : toilettes sans entretien, cours délaissées,
carreaux brisés… l’entretien et les dotations des écoles en moyens étant du
ressort de la municipalité, celle-ci n’en faisait jamais sa priorité, laissant
des établissements sans clôture, des classes sans fuel en plein hiver et des
toits sans étanchéité, livrant les élèves aux rigueurs du climat et même à la
menace des chiens errants…
A ce décor pas très reluisant pour
un institution sensée dispenser la rigueur et l’esthétisme dans une ambiance de
propreté et de sérénité, se sont ajoutées les errances des stratèges en tous
genres qui, pour passer le temps ou pour montrer qu’ils avaient de la suite
dans les idées, pondaient de nouvelles mesures pédagogiques à chaque rentrée
augmentant à chaque année le poids du cartable dans la même proportion où ils
diminuaient le savoir des écoliers et réussissant à abrutir des générations
avec des programmes débilisants.
La conjonction de tous ces facteurs
a eu pour effet de créer une école-laboratoire qui forma des zombies refusant
l’autorité parentale et contestant les règles de discipline sociale. Le
résultat est connu…
Dans un sursaut tardif,
l’administration eut le réflexe de redorer le blason du maître pour redonner à
l’école son importance et sa noblesse… elle se soucia parallèlement de
réorganiser la prise en charge de la gestion de l’infrastructure et de
l’élaboration des programmes…
Le salaire des enseignants
quintupla littéralement en quelques années. Les écoles furent réhabilitées par
des opérations spéciales et la rigueur fut instaurée dans leur gestion… les
programmes furent revus et corrigés et on introduisit même, à assez appréciable
échelle les nouvelles techniques de l’information que la plupart des élèves
maîtrisent bien mieux que leurs maîtres car ils s’y sont investis en dehors des
classes longtemps fermées aux ordinateurs et qui, sans se soucier des
bouleversements que connait le monde en la matière, continuent encore à
utiliser l’ardoise à l’ère des tablettes électroniques…
Mais il est aléatoire de penser que
quarante années de désinvolture, de bricolage et d’empirisme peuvent être
corrigées par la seule injection de fonds, les marques de bonne volonté et les
vœux pieux… Le mal de l’école algérienne est devenu systémique et elle ne
pourra être sauvée que par l’adoption de mesures radicales, ce qui, à
l’évidence, n’est pas dans les cordes des responsables qui ont leur part de
responsabilité dans le marasme qu’elle vit et qui n’ont pas le courage
politique de recourir à de vraies réformes et qui vont se contenter de réformettes
vite dépassées par le temps ou outrepassées par un personnel peu enclin au
changement et qui, conscient de sa puissance en ces temps débridés des bras de
fer, n’arrête pas de montrer ses biceps
dans des grèves récurrentes où il ne réclame pas des conditions idoines de
travail autant que l’amélioration de son salaire car l’appétit lui est venu en
mangeant…
La révolution salvatrice qu’attend
l’école ne peut être menée aujourd’hui, compte tenu aussi des résistances que
manifesteront les forces politiques extérieures largement dominées par les
idées rétrogrades et très largement représentées par les enseignants, car si
l’école n’a pas réussi à développer le niveau de l’instruction de ceux qui la
fréquentent, elle a été au-delà des espoirs de tous les modulateurs de
conscience en les aidant à créer des moutons disposés à suivre tout Panurge
faisant commerce de la langue, de la foi, de l’identité et depuis quelques
temps, du régionalisme…
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