Comme L’eau et le feu, la
politique doit absolument être gérée et maîtrisée pour ne pas engendrer des
catastrophes… C’est pour ça que les pouvoirs temporels doivent lui prévoir
balises, garde-fous et codes de conduite et l’empêcher, sous peine de crises
fatales de se revendiquer du pouvoir intemporel, car par ses imprécisions et la
profusion de ses interprètes, ce dernier permet de faire les lectures qui arrangent
le mieux les intérêts ou les pulsions de ceux qui lui font obédience ou qui,
suprême prétention, en arrivent à prendre sa défense…
Tout comme une eau qui n’est pas
canalisée ou un feu qui n’est pas surveillé, un mouvement politique qui est
livré à lui-même dépasse inévitablement ses limites, déborde fatalement ses
initiateurs et finit, en se nourrissant de ses propres surenchères, à
s’amplifier à la démesure, bousculant sur son passage ses principes initiaux,
développant même à leur encontre une adversité beaucoup plus féroce que celle
qu’il vouait à ses ennemis traditionnels dont il affirme s’être constitué en
contrepoids pour en juguler l’influence ; juste pour ne pas avouer qu’il s’est imposé
rédempteur pour les exclure d’un paysage
politique qu’il ne peut concevoir que monochrome…
Ce qui est vrai pour le
particularisme religieux en politique l’est aussi pour le particularisme racial,
linguistique ou culturel.
En politique comme en toute
chose, il n’y a pas de génération spontanée… Un mouvement nait ou dérive
toujours d’un autre et très souvent lui succède en effectuant ce
qu’on pourrait appeler un parfait « particide »…
Le FIS en Algérie est le rejeton
d’une tendance bigote du FLN… les mouvements violents qui lui ont succédé proviennent tous de son giron… et le drame en la matière, c’est que chaque
nouvelle génération d’exaltés se fait forte, non pas de tempérer les ardeurs héritées
de son géniteur mais de s’efforcer à les renforcer car il est dans la logique
des mouvements exclusivistes de surenchérir dans l’extrémisme…
Il en aurait été du FIS comme d’Ennahda mais l’Algérie n’est
pas la Tunisie et la conjoncture du siècle dernier n’est plus de mise…
Le parti de Ghannouchi qui
affiche aujourd’hui des volontés de démocratisme pour montrer ses bonnes dispositions à une
communauté internationale seule capable de lui garantir les possibilités de
gouvernance, très limitées par les contraintes moralisantes qu’il a dû revendiquer
pour mieux mobiliser, se retrouve pris
au piège de ses surenchères. Il doit
oublier ses griefs contre les ennemis qui lui donnaient du blé à moudre pour
ses prêches car un front autrement plus fatal, sorti de ses flancs, s’est
ouvert dans ses propres plates bandes pour lui faire rendre gorge devant ses
louvoiements et ses hésitations que ses soldats acharnés considèrent comme un
déviationnisme… Il se doit aujourd’hui de ramener à la raison les extrémistes
de sa mouvance qui ne comprennent plus
comment ce parti qui a toujours prêché l’irréductibilité,
se retrouve à troquer son gant de fer contre un gant de velours et à vouloir traiter avec ceux contre
lesquels il n’a jamais cessé de mettre
en garde : laïcs, athées, socialistes… et toutes les autres composantes de
la société dont il n’a jamais arrêté de présenter les différences autrement que
comme hérétiques adversités...
Mais si pour la mouvance
religieuse algérienne il y’eut un sursaut salutaire qui a réussi au prix d’une incommensurable
tragédie à démontrer, par une résistance acharnée d’un peuple et d’un Etat que le projet exclusiviste n’est qu’un vœu trop pieux
pour être réalisable, le pouvoir ou ce
qui en reste, en Tunisie (et en Egypte), n’a retenu du drame Algérien que la
peur de se voir projeté dans la confrontation…
Ne pouvant s’opposer
frontalement aux islamistes soudés par les années d’activisme underground qu’il
tolérait pour faire capoter tout projet démocratique, ce pouvoir oligarchique nécrosé
abdiqua sans laisser d’alternative susceptible de contrebalancer la déferlante intégriste.
Convaincue par les stratèges imberbes
d’outre méditerranée et les prêcheurs de tous poils d’un wahhabisme devenu très
entreprenant, que la théocratie politique pouvait se dissoudre dans la
démocratie ou être réduite par sa mise à l’épreuve, un peu comme le soutenaient
chez nous certains adeptes de la régression féconde, les forces sociales (et les
forces armées) furent tentées de jouer le jeu…
Elles se retrouvent aujourd'hui
prisonnières d’un cruel dilemme… choisir
entre l’expectative suicidaire face au chaos d’une guerre islamo-islamiste qui
plongera le pays et la sous-région dans une instabilité politique, sociale et
économique dont il est facile de deviner l’ampleur, la durée et les dégâts ou défendre
paradoxalement une légitimité républicaine incarnée par ceux là mêmes qui
déclarent la démocratie kofr et qui n’ont accepté de jouer son jeu que parce
qu’ils savaient le pouvoir à portée d’urne, en respect d’un de leurs principes
les plus opportuniste qui légalise les moyens pour aboutir à une fin
désirée : « li edharourati ah’kam ! »…
Il reste bien sûr une troisième
alternative : celle du pronunciamento et du recours à l’ordre kaki pour en
finir avec le désordre en kamis… et il n’est pas certain qu’elle soit vue d’un
mauvais œil par un peuple qui a eu tout le loisir de comprendre que la liberté
débridée ne fait pas autant le lit de la démocratie que celui de l’absolutisme
ou de l’anarchie…
C’est peut-être le moindre mal
qui attend la Tunisie.
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