Un jour un de nos Walis qui avait compris qu’on donnant à la canaille l’impression qu’elle participait à la prise en charge de son destin, on pouvait éviter ses protesta récurrentes, sans avoir à satisfaire ses besoins, décida d’organiser des shows populaires au niveau de toutes les sous-préfectures. Il invita a population à rencontrer directement les cadres de ses directions et à leur exposer sans protocole ses doléances…
Nous n’eûmes même pas à payer Kader El Fartas pour nous emmener au chef lieu de notre circonscription administrative car il fut réquisitionné par l’autorité et c’est non sans mettre sa casquette de travers qu’il passait et repassait devant les gendarmes en les narguant de sous sa jugulaire. Il fit ainsi quatre ou cinq voyages avec la camionnette chargée de villageois dont la plupart n’avait cure de ce qui pouvait se dire et profitait seulement de ce voyage à l’œil…
Parmi les villageois, il y’avait quand même quelqu’un qui avait à cœur de vider une besace pleine de ressentiments… C’était Ramdhane Doukdouk qui tirait son surnom de sa manie de ne jamais se défaire de son couteau…
Ramdhane Doukdouk avait gros sur le cœur… Il habitait juste à côté de la route départementale et il ne passait pas un jour sans qu’il eût maille à partir avec les chauffards qui y passaient…
Il lui est arrivé même de construire un dos d’âne en béton qui faillit lui coûter cher quand le fils de l’imam y fit un vol plané sur sa mobylette et ne dut son salut qu’en retombant sur les bottes de carde que Amar Boutrig avait cueillies de son jardin et entreposées là en attendant la camionnette qui devait les évacuer sur le marché.
L’Imam était allé voir les gendarmes et l’affaire aurait été prise en charge par la justice sans les bons offices du sergent chef Ziani qui se faisait un point d’honneur à régler les problèmes à son niveau… Ramdhane Doukdouk fut convaincu de retirer son dos d’âne et l’imam sa plainte l’affaire en resta là…
Mais la route continuait à le tracasser et c’est dans le but de faire entendre sa revendication qu’il s’était décidé à descendre à la sous-préfecture…
La foule était débout dans une grande salle devant une tribune improvisée sur laquelle trônait des messieurs encravatés… Pour donner un caractère officiel à la rencontre, on avait accroché, bien en vue derrière leurs têtes, un portrait du Président.
Monsieur le Sous-Préfet ouvrit la séance puis on lut la Fatiha, on écouta l’hymne national et on se leva pour une longue minute de silence à la gloire des Martyrs.
Avant de se retirer, le Sous-Prefet nous confia aux bons soins de son Secretaire Géneral qui nous invita à étaler toutes nos préoccupations face au représentants des administrations…
Ce fut laborieux au départ mais petit à petit les peurs et les gènes s’estompèrent et la salle devint un vrai marché…
Quand arriva le tour de Ramdhane Doukdouk, un lourd silence se fit…
Ramdhane prit tout son temps pour rejoindre la table où se trouvait le micro… Il se racla la gorge puis commença son discours…
Pour l’avoir vu faire, il crut utile de citer les instances et les institutions au nom desquelles il parlait…
Il cita bien sûr Allah le Clément et Miséricordieux puis le Parti, et l’Etat et, croyant que la trouvaille allait subjuguer l’assistance il continua : « bismi el H’ilf el Atlassi »… ça sonnait si bien, l’Otan, traduit en arabe…
Ayant énuméré encore d’autres organisations telles que l’UGTA et le croissant rouge, en faisant un geste ample de la main, il convia les invités à écouter sa doléance…
« Messieurs leur dit-il, il y’a des choses qui ne coutent rien à l’Etat mais qui peuvent rendre de grands services au peuple, surtout le peuple qui vit sous le risque permanent de la route… »
« Messieurs, leur dit-il en choisissant, pour plus d’effet, de le dire en français… Messieurs, nous avons besoin d’une sauterelle ! »
« Oui Messieurs, une sauterelle est vitale… elle est né-cé-ssaire pour sauver la vie de nos enfants… »
Son discours était pathétique…
On l’arrêta au détour d’une phrase pour lui demander de mieux se faire comprendre…
Et c’est son ami Mouhou Errtila, un monsieur frèle et nerveux, à la moustache fine qui parvint jusqu’au milieu de la salle et après de grands efforts car il était bègue, expliqua que Ramdhane Doukdouk, par sauterelle, voulait dire « passe… passe… passerelle ! »…
La passerelle réclamée par Ramdhane Doukdouk ne fut comme de bien entendu jamais construite car le Wali était parti sévir ailleurs et ses promesses furent vite oubliées… mais on n’oublia pas de sitôt la fatale intervention de Ramdhane et très rares restèrent les villageois qui continuèrent à l’appeler Doukdouk…
A compter de ce jour mémorable il reçut le nom de Ramdhane El Djrada…
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