mardi 12 juillet 2011

CULPABILISATION INJUSTE

Il y a dans les réquisitoires culpabilisants qu'on lance à la face de nos élites ou de notre peuple quelque chose de profondément injuste.
Il y a dans certaines comparaisons entre nos performances et celles de nos voisins quelque chose de fondamentalement faux.
Et si on veut véritablement remettre sur pieds ce pays terrassé non seulement par des décennies d'expérimentations hasardeuses mais aussi et surtout par une déstructuration totale du fait d'une colonisation brutale et d'une décolonisation encore plus brutale, il faut impérativement cesser de le considérer comme une motte de pâte à modeler.
Nos élites et notre peuple ne sont ni plus ni moins méritants que ceux des autres pays de notre voisinage immédiat ou même des confins du monde.
Ce sont les politiques que chaque nouveau chef - à tous les niveaux de responsabilité - s'empresse de changer pour se démarquer de son prédécesseur qui ont instauré cette situation de chantier toujours recommencé.
Depuis l'indépendance, en tout lieu et de tout temps, des plus insignifiants postes de décisions aux plus hautes charges de l'état, on a défini et appliqué la " stratégie " selon un seul et unique critère: faire le contraire du prédécesseur.
Et Bouteflika ne s'est nullement trompé en affirmant un jour que ceux qui devaient gérer le pays après Boumédiene n'avaient qu'une idée fixe en guise de programme: détruire Boumédiene.
Mais c'est ce pêché mignon qui lui servit de programme lui aussi... il faut l'avouer, la gabegie était si évidente qu'il lui était extrêmement difficile de ne pas succomber à la tentation...
En réalité, si nous n'avons pu rendre performants ni l'agriculture, ni l'industrie ni l'enseignement etc... c'est parce que nous n'avons pas encore réussi à les stabiliser pour une grande part à cause de cette satanée propension à considérer les décisions d'autrui comme des inepties consommées pour les remplacer par d'autres décisions très simplistes car basées sur un seul principe, celui de faire le contraire...
Et là où ça devient littéralement hilarant si ce n'est le tragique de la chose, c'est quand, à chaque fois, les décideurs (quel que soient leurs niveaux de décision), trouvent toujours, non seulement les techniciens qui, forts d'un argumentaire éminemment techniciste, arrivent à justifier leur point de vue mais aussi des hommes de l'information qui leur font la propagande, des élus qui les cautionnent et une masse populaire qui les applaudit à tout rompre.
Et c'est ainsi que nous pouvons rencontrer dans ce pauvre pays éprouvette des ministres qui ont défendu la GSE et la Révolution Agraire puis qui ont allègrement enfourché les coursiers de l'économie de bazar sans même expliquer leur cheminement ou s'excuser pour ces retournements de vestes.
Prenez par exemple cet éminent et sémillant ministre Hamrouchien qui s'est converti en réformateur convaincu et en partisan plus que zélé du libéralisme et qui est même arrivé à écrire un livre sur la perversion politique et relisez le JORADP; vous découvrirez qu'il siégeait à la Commission Nationale de La Révolution agraire le 21.01.1971 et que le 30.01.1974, il était membre de la Commission chargée du SGT...
Ne peut on pas conclure quelque part que certaines options étaient insidieusement minées à la base par l'insertion préméditée dans leur processus de maturation puis dans leur exécution d'agents chargés délibérément de les saboter ? Le parcours de nombre de grands et gros responsables incite à bien y réfléchir...
Mais si le pays n'arrête pas de se faire charcuter sans anesthésie sur le billard de l'imbécile suffisance par des apprentis chirurgiens depuis 62, c'est aussi parce qu'il souffrait au départ d'une totale désarticulation.
La décolonisation qui s'est opérée en douce en Tunisie et au Maroc n'a disloqué aucun secteur et n'a détruit ni les principes de gestion ni les droits de propriété. Elle a même assuré la continuité de l'ordre social, le pêcheur restant pêcheur, l'éleveur éleveur, le khammas khammas et le propriétaire propriétaire.
Il n'en fut pas de même chez nous où, à l'insoluble problème de la propriété est venu se greffer un incroyable essor démographique, culturel, cultuel, et industriel qui a bouleversé l'ordre social d'un peuple maintenu durant 132 ans dans un dénuement moral, culturel et physique qui, sans son incroyable capacité de résistance, lui aurait été fatal comme il l'a été aux indiens d'Amérique.
C'est peut-être , nonobstant les drames humains, l'un des plus grands griefs qu'on doit retenir contre la colonisation qui, non contente d'avoir littéralement sucé le pays, l'a abandonné en y laissant une multitude de bombes à retardement dont la moindre n'est pas ce problème de " bien vacants " qui a fait que le " socialisme ", ses passes droits, son égalitarisme castrant et ses parasites inévitables fut quasiment imposé...
Et même si c'est le contraire qu'on a toujours déclamé, c'est en réalité pour se débarrasser de ce " socialisme " que le pays n'arrête pas de s 'ébrouer douloureusement depuis 1962.
Monsieur le Président a blâmé un jour les Algériens pour leur faibles performances dans l'agriculture en reconnaissant que nous obtenons laborieusement 6 q/ha alors que nos voisins atteignent allègrement 60 q/ha...
Que les groupes de pression - quelle que soit la légitimité dont ils se revendiquent - arrêtent de défendre l'indéfendable statut d'une terre qui appartient à tout le monde et à personne; que le droit de propriété plein et entier - celui qui permet à l'homme d'investir et de s'investir totalement - soit reconnu à l'exploitant, que l'Etat comme tout état qui se respecte subventionne les intrants au lieu d'encourager l'importation et l'on verra, au bout de deux à trois années ce que cette terre si généreuse et ces bras si disposés sont capables de donner...
Parce que, à force de répéter qu'il faut se retrousser les manches, on ne fait que culpabiliser injustement tout un peuple qui n'est pas amorphe par un quelconque atavisme.
Si cette masse de bras ne fait rien, Monsieur le Président, c'est seulement parce qu'on ne lui a pas permis de faire quoi que ce soit en ne lui donnant rien à faire...

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