vendredi 22 juillet 2011

SAAD ET LE SERPENT


Dans mon village à la campagne, hier, après la prière du Asr, il y’avait foule devant l’abreuvoir municipal, relique du temps banni des colonies et qui, depuis longtemps à sec, trône quand même toujours à la place publique… C’est Ahmed Francis, faux à herbe sur l’épaule qui était l’objet de l’attraction… pas lui, mais le grand serpent qu’il avait ramené de Zebboudj Djemaa où il fauchait les blés…

Un serpent d’une belle taille !

Il l’avait tué sans trop l’amocher et il l’avait ramené, non pas comme un trophée de chasse car Ahmed Francis a tué bien des serpents sans se prendre pour un Tartarin de Tarascon …

Le secret de cette exhibition résidait ailleurs.

Et c’est quand Moh Galoufa et Salem El Hantla mandés en secret par Ahmed pour ramener Saad Boukerche apparurent du côté de la cave, transportant littéralement le pauvre bougre qu’on comprit pourquoi Ahmed Francis avait ramené son insolite trophée de chasse sur la place…

Le malheureux Saad trop court pour les tailles des deux gorilles, touchait à peine le sol de ses pieds et courait alors qu’ils marchaient… il n’avait pas du tout envie de voir le serpent, même mort et suppliait qu’on lui évitât ce supplice…

Mais le rituel était trop important pour qu’on lui eût permis de se défiler…

Arrivés devant le cercle formé autour du reptile, on introduisit Saad qui, tout tremblant, lança vers la bête son bras tendu d’un index frétillant : c’est lui ! wallah c’est lui !

La foule eut un murmure de soulagement.

Tous les serpents se ressemblant, on ne sut comment Saad venait de reconnaître celui qui lui avait lacéré le doigt, l’obligeant à faire un séjour en hôpital et à se farcir des piqures antitétaniques…

Cela s’est passé en mai passé ; alors qu’il fauchait les herbes des talus du côté de Zebboudj Djemaa, le serpent lui avait happé l’index de la Chahada. Il réussit à le dégager de sa gueule mais ses crocs l’avait lacéré jusqu’à l’os. Tenant sa main ensanglantée, il était venu en courant vers le village et s’était évanoui dans la voiture de Ammar El Cardan, le clandestin, qui l’avait conduit à l’hôpital…

Depuis, Saad n’osait plus sortir de chez lui… Le vieux Hachelaf lui avait dit qu’un serpent qui a goûté au sang d’un homme le retrouve toujours car la tentation d’en gouter encore devenait irrésistible pour lui…

Et Saad savait qu’il ne se libérerait de l’angoisse de cette poursuite infernale que le jour où il verrait ce satané serpent mort…

Le village qui ne pouvait mettre en doute le savoir du vieux Hachelaf avait implicitement lancé le mot d’ordre de « mort au serpent » pour sortir Saad de son calvaire…

Soulagée, la foule s’est dispersée laissant le serpent aux enfants.

Moh Galoufa, Salem El Hantla, Ahmed Franis et Saad arrosèrent l’heureux dénouement de la tragédie par des Ben-Haroun fraiches. Moh Galoufa qui voulait payer la tournée se fit rabrouer par Makhlouf El Qahwadji qui, portant sa main à sa poitrine lui dit : « hadhi men aandi ! »

En prenant bien soin que les clients du café l’entendent et en prennent acte !

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