
Les malheureux responsables qui doivent gérer le quotidien du peuple en ces temps de l’émeute doivent avoir beaucoup de courage pour ne pas abdiquer devant les insurmontables problèmes auxquels ils se trouvent confrontés du fait de la dichotomie qui a souvent caractérisé la gestion en ce pays.
Cette dichotomie s'est matérialisée parfois par un volontarisme effréné où les commis de l'Etat ont eu les coudées si franches qu'ils ont usé et très souvent abusé de leur pouvoir. C'est par exemple la période ou un haut cadre du ministère de l'intérieur de Meziane Cherif n'hésitait pas à inciter les walis à faire carrément fi de la loi quand elle s'oppose aux décisions qu'ils jugent nécessaires à la dynamisation du développement local.
On sait ce qui en a résulté.
Des walis se sont convertis en tsars; ils ont fait fi de tous les avis techniques et ne sont embarrassés ni de la régularité, ni de la justesse ni de l'opportunité ni de la faisabilité des opérations pour lancer des projets sans maturation, sans financement, sans nécessité. Encouragés par la diabolisation du terme " planification ", ils ont fait abstraction de toute prospective. Leurs grandes oeuvres étalent aujourd'hui leur laideur, leur inutile gigantisme, l'impossibilité pratique de les faire arriver à terme et l'incommensurable passif qu'elles lèguent à des collectivités locales qui se sont crues grandes par le simple fait de voir trop grand. Ce volontarisme a profité à fond la caisse (de l'état) de l'absence d'assemblées élues, seules capables de mettre un bémol aux appétits ou aux ambitions ou aux prétentions pantagruéliques des nouveaux tsars mais aussi d'une situation où toute contestation populaire pouvait être réprimée dans l'oeuf au motif de nécessité sécuritaire.
Devant le gâchis crée par ce volontarisme, l'Etat a cru bon, non pas de canaliser et de réduire les ardeurs mais de les freiner brutalement en culpabilisant et en criminalisant l'acte de gestion. Et c'est ainsi qu'un ministre de la Justice qui s'est cru détenteur exclusif de la probité s'en est venu soupçonner tout ce qui bouge de forfaiture. Pour ne pas avoir à subir les foudres d'une justice brusquement devenue enragée, tout le monde s'est arrêté de travailler, étant entendu que celui qui ne fait rien ne risque absolument pas de se tromper parce que quoi qu'on fasse, on est assuré de tomber dans l'erreur devant l'inextricable imbroglio des lois et la nouvelle vigilance des juges.
Au volontarisme débridé a succédé un " prudentialisme " frileux. Et les responsables ont joué à fond l'expectative en confiant au temps le soin de remédier aux attentes et aux problèmes en suspens.
Mais le temps n'a jamais été un remède, lui qui est le facteur par excellence du pourrissement.
Après des années d'expectative, la machine s'est totalement rouillée et il est à craindre que son démarrage ne la fasse " couler " irrémédiablement.
Aujourd'hui, pour pouvoir entreprendre, construire, investir, commercer, produire... il faut affronter une machine bureaucratique d'une lourdeur telle qu'elle décourage le plus audacieux.
L'administration qui, par essence, devrait assister le citoyen et l'inciter à inscrire ses activités dans la légalité s'est petit à petit murée dans une tour d'ivoire impénétrable. Ses tracasseries, ses interdits, ses méandres inextricables ont en fait un véritable ogre. Cette situation a fait qu'il est plus facile, moins risqué, beaucoup plus rentable de faire dans l'informel que dans le formel.
En dehors des blocages délibérés, l'administration a pris en charge les gros problèmes qui se posent à la population avec une circonspection frileuse. Elle a, à chaque fois, évité d'affronter les réalités en remettant les solutions au lendemain, fidèle au principe aujourd'hui consacré de " après moi le déluge ".
Cette stratégie du report qui s'est matérialisée par le pourrissement en mode de gestion peut être illustrée par:
1- Les conflits d'élus: Nombre de communes et de wilayas connaissent des problèmes provenant de susceptibilités personnelles, de mésentente tribale et de considérations politiques.
Au lieu de pratiquer une politique de prévoyance, l'administration laisse faire ou complique encore plus la question par ses interventions intempestives. Quand la situation devient ingérable, elle se débine en laissant la commune ou la wilaya livrée à elle-même, hypothéquant les chances de développement et donnant une piètre image de l'autorité de l'Etat.
Combien de conflits ont paralysé les APC ou les APW ? Combien ont connu un dénouement sans conséquences et quel temps ça a pris pour remettre les choses en place. La réponse à ces questions montrera quelle importance on donne au facteur temps...
2- Les conflits d'institutions et de compétence:
A voir la futilité qui a présidé à certains conflits entre institution: APC-Gendarmerie, APC-Recette des contributions, APC - Domaine... on est presque tenté de croire qu'ils ont été crées de toutes pièces. Cette conclusion revêt un caractère d'évidence quand on voit avec quelle désinvolture on les prend en charge.
D'autre part, et contrairement à toute logique, on a fait en sorte que l'administratif supplante carrément le judiciaire. Ainsi, dans beaucoup de cas, le casier judiciaire est requis comme simple formalité puisqu'on n'hésite pas à s'embarrasser de demander une enquête administrative malgré l'exigence préalable de sa présentation.
L'appareil judiciaire pour sa part n'hésite pas aussi à damer le pion à l'administration en donnant systématiquement raison à toute personne qui l'esterait. Et l'on rencontre des situations complètement débiles où la justice ordonne la réintégration de travailleurs libérés, avec paiement de tout ce qu'ils auraient perçus depuis leur licenciement sans même que les responsables de leur licenciement ne sachent avec exactitude quelle faute leur est reprochée... Dans certains cas ces jugements peuvent détruire tous les équilibres des administrations. Et le doute sur l'innocence de ces verdicts reste permis quand on sait que rares sont les travailleurs du secteur privé qui bénéficient de ces faveurs. Le comble, c'est que, devant cette terrible saignée, personne n'a eu l'idée de faire une journée d'étude où assisteraient les magistrats, les inspecteurs du travail et les édiles pour que les règles et procédures soient entendues.
Il en est de même des conflits d'ordre foncier où la Justice cède presque à tous les coups les biens publics aux particuliers qui les réclament et fait preuve d'une diligence dans l'exécution qu'on ne lui connaît nullement quand il s'agit des rares cas où l'Etat veut récupérer ses biens. Les administrations (et entreprises publiques) comptent toutes des avocats pour les défendre. Il serait très instructif de voir combien elles consentent à ces avocats et combien d'affaires elles remportent... Le résultat ferait frémir de juste colère le plus placide des indifférents...
3- Les conflits de tribus : Certains malentendus bénins entre tribus ont été laissés à la libre entreprise des apprentis-sorciers politiques qui les ont gonflés au point que l'intervention de l'Etat pour arbitrer n'est plus à même de les juguler - pire, cet arbitrage après que la situation ait connue cet état de pourrissement porte le risque d'aliéner totalement la confiance en l'état pour ceux qu'il pénalisera.
D'autre part, le laxisme avec lequel est traité le principe absolument inadmissible du droit de la tribu sur ce qui se trouve sur son sol ou son sous-sol et ce qui traverse ses terres pose déja dans certaines régions qui ont acquis une sorte d’autonomie tribale, dans un très proche avenir de très grandes difficultés de gestion de l'eau, de la route, du gaz, de l'électricité ou du téléphone et bientôt peut être, du gaz et du pétrole.
Nos gouvernants pourront-ils trouver la voie médiane entre l'anarchie et la léthargie, qui permettra aux fondés de pouvoir de faire preuve d'initiative sans verser dans l'autoritarisme et sans craindre les carcans étroits du légalisme ?
Ce n’est pas bien sûr… Devant la revendication citoyenne que manipulent aujourd’hui à leur guise les apprentis sorciers de la politique, des affaires, de la presse et des intérêts étrangers, la tentation sera grande de rechercher les boucs émissaires pour calmer les ardeurs citoyennes débridées plutôt que les constructeurs pour restaurer des ordres bouleversés…
Le " Guidoumisme ", cette méthode pratique qui élude les gabegies systémiques en les imputant à des personnes et qui donne depuis toujours du répit aux systèmes en sanctionnant certains de leurs servants, cette pratique tiers-mondiste, aussi avilissante que démagogique qui vous humilie les cadres en public pour faire plaisir au peuple et qui a fait les preuves de sa nocivité depuis Messaoudi Zitouni et sa canne a encore des beaux jours devant lui…
En ce pays en panne d'initiatives on en est arrivé aujourd'hui à avoir plus besoin de mauvais décideurs que de bons exécutants...
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