mardi 2 août 2011

LA RECONCILIATION DES VIEUX AMIS


Dans mon village, à la campagne, on est à cheval sur beaucoup de principes, entre autres, celui d’ « acheter ce que voit l’œil »…

Et c’est en vertu de ce principe que Lakehal Ben Hamoud le ferrailleur céda une dynamo de 404 à Kader El Fartass le clandestin…

La dynamo s’est avérée par la suite inutile car ses brides aussi bien que son rotor étaient hors d’usage, c’est tout naturellement que Kader El Fartass a pensé la restituer à Lakehal Ben Hamoud pour récupérer son argent.

Mais si Lakehal devait reprendre toutes les pièces non fonctionnelles, il ne vendrait rien et c’est tout aussi naturellement qu’il refusa de reprendre sa dynamo et de rembourser Kader El Fartass, lui rappelant que cette restitution dérogeait au principe cardinal qui régit pareilles transactions et dont il est question plus haut.

Les deux amis en vinrent presque aux mains et ne se parlèrent plus depuis ce jour où, devant témoins, Lakehal avait décidé de la non reversibilité de l’opération commerciale qu’ils avaient conclue. Kader El Fartass ramena la dynamo dont il n’avait que faire et la jeta négligemment au pied du grand murier de la place. Lakehal se garda d’y toucher et, pour faire juste mesure, il tira de son portefeuille en cuir un billet de 200 DA tout scotché et héla Bachir El Mahboul qui passait en menaçant de l’index un importun qu’il était seul à voir et le lui tendit… Bachir, tout mahboul qu’il était « connaissait la porte de sa maison » comme disait le proverbe du cru. Il empocha goulument le billet et s’en fut …

Lakehal Ben Hamoud et Kader El Fartass étaient quittes… le premier pour avoir perdu sa dynamo, le second pour ne pas avoir récupéré ses deux cents dinars… mais l’animosité villageoise est si tenace. Les deux hommes continuèrent à s’éviter malgré les innombrables tentatives de réconciliation ; l’affaire était trop importante pour que les belligérants puissent changer d’un iota leurs positions…

Un jeudi de Juin, au grand marché de voitures de Tidjellabine, alors que Lakehal Ben Hamoud s’occupait à convaincre un gros monsieur à la bedaine proéminente et à la calvitie luisante du très bon état du roulement 6206 pour roue avant de quatrelle, un grigou lui subtilisa un pneu presque neuf… Kader El Fartass qui passait par hasard près de l’étal clairsemé du ferrailleur vit le manège mais, étant fâché avec Lakehal, il ne put lui indiquer où le grigou avait caché l’objet du larcin…

Lakehal qui s’était vite rendu compte de la disparition de son pneu paniquait déjà en ne sachant plus s’il fallait surveiller son étal ou le rechercher… C’est alors qu’il vit l’insolite spectacle de Kader El Fartass tournant autour d’une 403 camionnette et répétant à haute voix une curieuse litanie : « Rah fel bachi, chouf fel bachi, rah fel bachi, chouf fel bachi, rah fel bachi, chouf fel bachi… »

Lakehal comprit le message de son ancien ami…

Il jeta un œil dans la 403 bachée et y trouva son pneu qu’il récupéra en grognant de colère et de joie mêlées…

Les villageois qui n’étaient pas au courant de cette histoire furent stupéfaits de voir rentrer ensemble les deux anciens compères qui, pour sceller leur réconciliation et la montrer à tout le monde s’attablèrent sous le grand murier de la place, comme au temps où « un seul couteau pouvait les égorger » et demandèrent au vieux Said Ruisseau, en chœur, deux Ben Haroun « bien fraiches »…

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