Aux lendemains du 5 Juillet 1962, la richesse appartenait à tout le monde et à personne, c'est-à-dire au Peuple. Les Lois promulguées depuis lors et jusqu'à nouvel ordre avaient pour souci, non pas le transfert en douce de cette propriété récupérée des colons à des personnes physiques mais plutôt la préservation du caractère collectif de la possession.
Les hommes de la nomenklatura n'étaient pas aussi désintéressés que ça mais ils préféraient jouir des bienfaits de la propriété collective en laquelle ils trouvaient leurs larges comptes au lieu de s'embarrasser des problèmes de possession d'affaires et des contraintes de leur gestion. Dire que cette pratique innommable fut parfois assimilée à de la grandeur d'âme ! Les hautes gens de la nomenklatura jouissaient sans coup férir ni sueur exsuder des bienfaits du socialisme au nom du principe les faisant "représentants de l'Etat et du Peuple" qui se confondaient allègrement en apparence et dans les slogans dont on abreuvait généreusement les militants de la claque. Et c'est ainsi qu'on a vu se créer une classe de nantis sans actes de propriété compromettants, qui se permettaient le pouvoir et l'argent du pouvoir, disposant de richesses incalculables et menant un train de vie qu'envieraient les princes d'Arabie.
Tout autour de ces grands mécènes devant l'Eternel, se constituaient des cercles concentriques de relations douteuses de copinage, voisinage cousinage et concubinage dont le degré d'aisance était proportionnel à la distance qui les reliait au centre de rayonnement.
La possession privée, avec " acte de propriété" trouvait elle aussi son compte en servant la nomenklatura et en la caressant dans le sens du poil. Lui servant des miettes elle se permettait en contrepartie de se remplir toutes ses poches disponibles en utilisant à son profit une administration goulue, empêtrée allègrement dans un dirigisme forcené car bête et méchant.
Il me souvient qu'en 1973, aux plus forts moments de l'euphorie révolutionnaire, un sous-préfet d'une ville du centre qui n'a rien à voir avec le sous-préfet poète de l'auteur des "Lettres de mon moulin", recevait - de l'aveu même de ses ''bienfaiteurs" - de pleins paniers de bananes et autres fruits exotiques en contrepartie bien sûr de marchés juteux et d'interventions énergiques auprès d'un fisc malléable à merci et modèle même de l'arbitraire, pour moins de zèle dans ses redressements.
On raconte que ce sous-préfet, petit potentat dans son genre grâce à un FLN aux ordres, à chacune de ses nombreuses visites chez un gros grossiste de la contrée, s'entendait avec plaisir dire à son digne rejeton: "voilà pour t'acheter chi hlaouatt !" et voir se tendre un millier de DA que le gosse empochait goulûment sous l'œil attendri de son papa...rappelons qu'avec 1000 DA de l'époque, on pouvait s'acheter un téléviseur, son antenne sa table et son stabilisateur...
Il y'avait alors, d'un coté une Administration gourmande, omnipotente et ventripotente et de l'autre des tiques opportunistes qui avaient tellement bien étudié les ficelles du système qu'elles pouvaient inspirer ou pervertir tous ses textes pour en faire des marchepieds vers l'assouvissement de leur boulimie gargantuesque.
Des fortunes ont commencé à se constituer chez des citoyens qui n'avaient pour seuls mérites que la souplesse de leur échine ou la disponibilité de leurs atours. Et le pouvoir, pour faire passer la pilule (j'allais écrire l'"olive") infantilisait le peuple par un paternalisme dont les effets castrateurs continuent à produire leurs effets - et quels effets ! - jusqu'à nos jours, L'Algérien qui avait appris l'art de subvenir honnêtement à ses besoins fut réduit à l'état de lombric. Le Pouvoir Révolutionnaire lui assurant le gîte. la bouffe, les nippes, le boulot sans qu'il n'ait à trop s'en faire. On disait dans les slogans des banderoles flottantes aux courants d'air des rues: "Le travail est un droit garanti par la Révolution", pas un Devoir du citoyen envers la Société.
Le dicton montagnard toujours à propos dit: "quand l'âne est rassasié, il se met à braire (pour ne pas dire un mot plus détonnant...) ou moins crûment: "Quand le ventre est plein, la tête se met à chanter" et le peuple risquait d'entonner des airs viciés; alors, les gouvernants trop prévenants et qui avaient beaucoup de suite dans les idées firent appel au PAP pour lui remplir la bouche. Le Peuple, bien élevé, ne pouvait parler la bouche pleine, et son silence fut exploité pour saper insidieusement les idoles qu'il avait vénérées et les remplacer par d'autres. Le Socialisme fut jeté aux oubliettes de l'Histoire parce que la supercherie avait trop duré; de plus, les fortunes qui s'étaient constituées avaient besoin de lever ces carcans qui les empêchaient de se régénérer.
En un tour de main, la richesse qui constituait une tare honteuse est redevenue noblesse et belle référence. Et la fortune sourit aux audacieux parasites.
Les banques se mirent à distribuer l'argent du Peuple à tours de bras, sans s'assurer de la crédibilité des heureux bénéficiaires. La terre fut dépecée et servie sur des plateaux d'argent à des Entrepreneurs qui n'ont ni les capacités intellectuelles d'entreprendre, ni le mérite de l'amour du risque puisqu'assurés de n'en courir aucun.
L'Ecole pour préparer les luttes épiques d'un demain nécessitant diversion, recruta par pleines pelletées, des mou'alimin" bien de chez nous pour algérianiser un enseignement écartelé entre les conceptions diamétralement opposées de nos frères arabes et de nos camarades soviétiques conceptions qui font qu'à ce jour, les zombies ainsi formés ne se regardent plus seulement dans le blanc des yeux avec des éclairs assassins mais passent à l'acte. L'école des masses, ouverte à deux battants aux enfants de la canaille ne s'embarrassa plus de « moyenne » pour faire gravir les échelons à ses potaches mais généralisa la pratique du rachat, des quotas et des passages automatiques et enleva toute émulation en supprimant le "classement" de ses bulletins de notes.
Et c'est à coup de "ventés religieuses" que ceux qui ont légitimé la Révolution Agraire en s'empressant de verser au FNRA leur héritage foncier, s'en sont revenus défendre la légalité de la possession après s'être rendus occupants de terres maintenant plus intéressantes pour la spéculation grâce à un inénarrable ministre grand distributeur des biens qui ne lui appartiennent pas.
L' Etat déliquescent en arriva même à vendre des murs entre ciel et terre à des pauvres bougres qui n'y on vu qu'une occasion de se faire quelques affaires sans se rendre compte qu'on leur faisait des fumigations de leurs propres barbes! Boussaad Abdiche , le regretté billettiste attitré d'El Moudjahid disait dans un des ses billets à peu près ceci: "Pour pouvoir voler tes bœufs sans s'entendre traiter de voleurs, ceux d'en haut permettent à ceux d'en bas de voler les œufs"
Voici, résumée, l'histoire de la propriété dans ce banc d'essai que constitue l'Algérie. Une propriété oui n'a pas fini de miner ses assises, parce que d'un coté, il y'a ceux qui possèdent sans avoir souffert pour créer et de l'autre ceux qui ont souffert pour créer mais ne possèdent rien. Et si les richesses algériennes sont ainsi évaluées, c'est que ces deux composantes de la Société n'ont ni l'amour de conserver une richesse tombée du ciel pour la première, ni le désir de préserver une richesse injustement attribuée pour la seconde. Faut-il dés lors s'étonner de voir brader nos usines, nos terres, nos forêts et nos greniers à blé dans cette Algérie-éprouvette, ou des sorciers indignes ont fait (et continuent à faire) d'un Pays à la naïveté désarmante, un bouillon de culture pour leurs sordides expériences...
Redéfinir la propriété et la possession sur des bases autrement moins passionnées mais plus rationnelles, c'est régler en grande partie l'imbroglio Algérien. Mais est-ce encore possible ? Pas évident !
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