mercredi 17 avril 2013

LE LIVRE ENTRE A-CULTURE ET E-CULTURE


« Je crains l’homme d’un seul livre » disait St Thomas d’Aquin…

La sentence a été différemment interprétée. Certains ont compris une reconnaissance de  la puissance de tout homme qui maîtrisait parfaitement son sujet, d’autres l’ont interprétée comme une mise en garde contre toute personne qui ferait une  fixation obsessionnelle sur une seule passion …

Dans notre cas, ce n’est pas l’homme d’un seul livre que nous devons éviter, plaindre ou redouter  mais celui d’aucun livre !

Car l’homme d’aucun livre n’a ni base ni assise, ni principe ni projet, ni morale ni scrupules, ni passé ni avenir.

Dans un reportage réalisé par une télé privée et  largement repris par les réseaux sociaux, nous avons eu à nous farcir les têtes de lune de nos député(e)s  bégayant devant la question « quel est le dernier livre que vous avez lu ? »…

La plupart de nos gloutons leveurs de bras se sont échinés, l’index sur le menton ou se grattant la tête, à se souvenir d’un auteur ou d’un titre dont ils avaient vaguement entendu parler, afin de pouvoir étaler une culture qu’ils n’ont jamais eue. Ne pouvant s’en rappeler, et pour cause,  ils se sont esquivés par une réponse payante en ces temps de bigoterie en  lançant en forme d’Eureka : « le Coran »…

La journaliste qui eut l’idée de dévoiler cette f’dhiha a oublié un seul détail : les députés ne sont pas nés députés… Ils viennent à 80% du corps enseignant et à 20% du magma des autres catégories socioprofessionnelles.

Cette chaîne aurait était très bien inspirée d’aller questionner les enseignants en sit-in dans un de leurs innombrables et récurrents piquets de grève !... Elle nous aurait permis de savoir que ceux qui sont chargés de donner le goût de la lecture à nos enfants sont les derniers à se soucier de cette nourriture spirituelle…

Combien d’enseignants ont-ils, en effet,  lu le moindre livre, combien d’entre eux ont-ils crée, entretenu ou financé à l’instar des instructeurs d’antan des bibliothèques dans leurs écoles, combien ont donné à leurs élèves un livre à lire durant leurs vacances pour en faire l’exposé à la reprise des cours, combien de bouquins sont distribués en prix aux élèves méritants, à combien de potaches a-t-on  fait faire des voyages organisés à la foire du livre comme on leur fait faire les piquets d’honneur pour accueillir les « illustres hôtes » qui viennent en visite d’  « inspection et de travail »…

Triste constat…

Triste constat, à relativiser toutefois, en situant le livre dans son contexte culturel et en le comparant au cinéma, au théâtre, à la bande dessinée, à la peinture etc… pour se « rassurer » s’il y’a lieu, en se rendant compte que c’est toute la culture d’antan qui a f… l’camp sous les coups de boutoir d’une a-culture imposée par des interactions socio-économiques multiples qui ont instauré le principe de l’intérêt matériel comme unique souci vital pour l’ici-bas et celui du salut de l’âme comme seul objectif pour l’au-delà et classé toutes les passions autres qu’affairistes ou  religieuses comme pertes d’argent, de temps et d’énergie…

 Triste constat pour les rêveurs et nostalgiques de la beauté des choses qui voient la culture d’ antan laisser place à une e-culture débridée qui ignore la beauté du verbe,  l’odeur du papier, les feuilles écornées qui renvoient aux « arrêts sur image » de lectures passionnées… une e-culture qui boude la lecture et se f… pas mal de l’orthographe et de la syntaxe comme elle ne ressent rien devant le livre, sa beauté, son poids, sa symbolique…

Mais si le livre a fait les frais d’une révolution culturelle ou cultuelle, pourquoi diable les foires aux livres attirent elles encore tant de gens et font-elles encore recette pour les éditeurs et les organisateurs ?... Là aussi, il faut savoir faire les  discernements qui s’imposent… Le Livre en qualité de vecteur de culture universelle compte pour très peu dans ces manifestations où les étalages sont surchargés de volumes finement reliés dont peu de gens s’inquiètent du contenu car destinés à dormir dans les rayons des  bibliothèques de la frime et du m’as-tu-vu,  et des ouvrages exégétiques des chercheurs de foi qui n’ont pas compris que la vraie foi, celle qui s’accorde et rime avec sincérité, ne  se conjugue qu’au naturel et n’a pas besoin de tous ces artifices dont la revêtent les prêcheurs et autres interprètes des dogmes, qui en font un fonds de commerce juteux en n’arrêtant pas de vendre discours et  fatwas … des livres scolaires aussi qu’on achète par nécessité parce que le programme d’éducation l’exige… livres à la qualité douteuse et qui font la fortune de nombre d’auteurs et d’éditeurs coupables de délit d’initiés dans des affaires de choix de titres et de contenus qui finiront un jour par dévoiler des accointances qui n’ont aucune noblesse…

Le leurre des foules qui se bousculent devant les volumes entassés ne doit pas faire illusion. Le livre est à l’agonie, victime des attaques conjointes de  l’a-culture et l’e-culture mais aussi et surtout d’une politique privilégiant le conjoncturel au soutenu, l’effet spectacle à la tradition, l’éphémère au permanent… et favorisant superfétatoire et pédantisme.

Pour sauver le livre il faut l’aimer… pour l’aimer, il faut le lire…

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