« Je crains l’homme d’un seul livre » disait St Thomas
d’Aquin…
La sentence a été différemment interprétée. Certains ont
compris une reconnaissance de la
puissance de tout homme qui maîtrisait parfaitement son sujet, d’autres l’ont
interprétée comme une mise en garde contre toute personne qui ferait une fixation obsessionnelle sur une seule passion
…
Dans notre cas, ce n’est pas l’homme d’un seul livre que
nous devons éviter, plaindre ou redouter
mais celui d’aucun livre !
Car l’homme d’aucun livre n’a ni base ni assise, ni principe
ni projet, ni morale ni scrupules, ni passé ni avenir.
Dans un reportage réalisé par une télé privée et largement repris par les réseaux sociaux, nous
avons eu à nous farcir les têtes de lune de nos député(e)s bégayant devant la question « quel est le
dernier livre que vous avez lu ? »…
La plupart de nos gloutons leveurs de bras se sont échinés, l’index
sur le menton ou se grattant la tête, à se souvenir d’un auteur ou d’un titre
dont ils avaient vaguement entendu parler, afin de pouvoir étaler une culture
qu’ils n’ont jamais eue. Ne pouvant s’en rappeler, et pour cause, ils se sont esquivés par une réponse payante
en ces temps de bigoterie en lançant en
forme d’Eureka : « le Coran »…
La journaliste qui eut l’idée de dévoiler cette f’dhiha a
oublié un seul détail : les députés ne sont pas nés députés… Ils viennent à 80%
du corps enseignant et à 20% du magma des autres catégories
socioprofessionnelles.
Cette chaîne aurait était très bien inspirée d’aller
questionner les enseignants en sit-in dans un de leurs innombrables et
récurrents piquets de grève !... Elle nous aurait permis de savoir que ceux qui
sont chargés de donner le goût de la lecture à nos enfants sont les derniers à
se soucier de cette nourriture spirituelle…
Combien d’enseignants ont-ils, en effet, lu le moindre livre, combien d’entre eux ont-ils
crée, entretenu ou financé à l’instar des instructeurs d’antan des
bibliothèques dans leurs écoles, combien ont donné à leurs élèves un livre à
lire durant leurs vacances pour en faire l’exposé à la reprise des cours, combien
de bouquins sont distribués en prix aux élèves méritants, à combien de potaches
a-t-on fait faire des voyages organisés
à la foire du livre comme on leur fait faire les piquets d’honneur pour
accueillir les « illustres hôtes » qui viennent en visite d’ « inspection et de travail »…
Triste constat…
Triste constat, à relativiser toutefois, en situant le livre
dans son contexte culturel et en le comparant au cinéma, au théâtre, à la bande
dessinée, à la peinture etc… pour se « rassurer » s’il y’a lieu, en se rendant
compte que c’est toute la culture d’antan qui a f… l’camp sous les coups de
boutoir d’une a-culture imposée par des interactions socio-économiques
multiples qui ont instauré le principe de l’intérêt matériel comme unique souci
vital pour l’ici-bas et celui du salut de l’âme comme seul objectif pour l’au-delà
et classé toutes les passions autres qu’affairistes ou religieuses comme pertes d’argent, de temps
et d’énergie…
Triste constat pour
les rêveurs et nostalgiques de la beauté des choses qui voient la culture d’
antan laisser place à une e-culture débridée qui ignore la beauté du verbe, l’odeur du papier, les feuilles écornées qui
renvoient aux « arrêts sur image » de lectures passionnées… une e-culture qui
boude la lecture et se f… pas mal de l’orthographe et de la syntaxe comme elle
ne ressent rien devant le livre, sa beauté, son poids, sa symbolique…
Mais si le livre a fait les frais d’une révolution
culturelle ou cultuelle, pourquoi diable les foires aux livres attirent elles
encore tant de gens et font-elles encore recette pour les éditeurs et les
organisateurs ?... Là aussi, il faut savoir faire les discernements qui s’imposent… Le Livre en
qualité de vecteur de culture universelle compte pour très peu dans ces
manifestations où les étalages sont surchargés de volumes finement reliés dont
peu de gens s’inquiètent du contenu car destinés à dormir dans les rayons
des bibliothèques de la frime et du m’as-tu-vu, et des ouvrages exégétiques des chercheurs de
foi qui n’ont pas compris que la vraie foi, celle qui s’accorde et rime avec
sincérité, ne se conjugue qu’au naturel
et n’a pas besoin de tous ces artifices dont la revêtent les prêcheurs et
autres interprètes des dogmes, qui en font un fonds de commerce juteux en
n’arrêtant pas de vendre discours et
fatwas … des livres scolaires aussi qu’on achète par nécessité parce que
le programme d’éducation l’exige… livres à la qualité douteuse et qui font la
fortune de nombre d’auteurs et d’éditeurs coupables de délit d’initiés dans des
affaires de choix de titres et de contenus qui finiront un jour par dévoiler
des accointances qui n’ont aucune noblesse…
Le leurre des foules qui se bousculent devant les volumes
entassés ne doit pas faire illusion. Le livre est à l’agonie, victime des
attaques conjointes de l’a-culture et
l’e-culture mais aussi et surtout d’une politique privilégiant le conjoncturel
au soutenu, l’effet spectacle à la tradition, l’éphémère au permanent… et
favorisant superfétatoire et pédantisme.
Pour sauver le livre il faut l’aimer… pour l’aimer, il faut
le lire…
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